
Chacun de nous a de petites habitudes qui nous aident à maintenir notre équilibre intérieur au quotidien. Certains ne peuvent pas commencer la journée sans leur café préféré, d’autres lisent toujours un peu avant de dormir. Pour moi, ce petit rituel était une glace en cornet — à la vanille, avec un enrobage de chocolat.
Ce n’était pas simplement une gourmandise. C’était un moment rien que pour moi — après une longue journée de travail, après toutes les tâches domestiques, quand les enfants étaient enfin couchés et que la maison retrouvait son calme. Je m’asseyais dans la cuisine, je fermais mon ordinateur, je rangeais la vaisselle et je savourais ce petit plaisir. Lentement, bouchée après bouchée, en profitant de l’instant de tranquillité.
Il se trouve que la sœur de mon mari, Nathalie, et sa fille Laila sont venues vivre temporairement chez nous. Elles nous ont demandé de les héberger quelques semaines, le temps que leur cuisine soit rénovée. Bien sûr, nous n’avons pas pu refuser à la famille, et j’étais sincèrement heureuse de pouvoir aider. Mais ces deux semaines sont devenues cinq, et peu à peu, j’ai senti que mes limites personnelles commençaient à s’effacer.
Nathalie se comportait comme si elle avait toujours vécu chez nous. Elle s’est rapidement approprié l’espace, parfois en oubliant que ce n’était pas sa maison. Je travaillais à plein temps, je m’occupais de la maison et j’aidais aussi avec Laila. Et le soir, ma petite récompense m’attendait — ma glace.

Un soir, après une journée particulièrement éprouvante, je suis rentrée chez moi. Rien ne s’était bien passé — les réunions s’étaient éternisées, les délais avaient été repoussés, et la fatigue me pesait plus que jamais. Je ne rêvais que de mon cornet de glace. J’ai ouvert le congélateur — mais il n’y en avait plus.
J’ai fouillé partout, déplacé les paquets, regardé derrière les légumes surgelés — rien. J’ai alors demandé à Nathalie, et elle m’a répondu calmement :
— Ah, ça ? Je l’ai jeté. Je ne voulais pas que Laila te voie manger ça. Il faut quand même donner le bon exemple à un enfant.
J’étais abasourdie. Mes glaces, encore neuves, jamais ouvertes — à la poubelle. Sans avertissement, sans en parler. Quelqu’un avait décidé à ma place de ce que j’avais le droit de faire ou non.
Je suis restée là, sans voix, ne sachant que dire. Ce n’était pas qu’une question de glace. C’était un manque de respect pour mon espace, mes habitudes, pour ce petit moment que je m’accordais.
Ce soir-là, je suis sortie me promener pour me calmer. Et plus tard, en rentrant, je me suis contentée de prendre une douche et d’aller me coucher. Je ne voulais pas de conflit. Mais au fond de moi, j’étais triste et blessée.

Plus tard dans la soirée, Laila est venue me voir. Elle est entrée discrètement dans la cuisine, et elle est restée longtemps silencieuse avant de parler.
— Pardon, tata Lori — m’a-t-elle dit à voix basse. — Je suis désolée que maman ait jeté ta glace. Je sais que tu la manges toujours après le travail, et à ce moment-là, tu as l’air heureuse.
Ses mots m’ont profondément touchée. Une petite fille avait vu ce que les adultes n’avaient pas remarqué. Elle avait compris combien ce simple plaisir comptait pour moi.
Laila a dit qu’elle était prête à vendre de la limonade dans la cour pour m’acheter une nouvelle glace. Son attention m’a réchauffé le cœur. Je l’ai serrée dans mes bras et je lui ai dit qu’elle n’avait pas besoin de faire cela, que son attention et sa compréhension me suffisaient.
Le lendemain matin, Nathalie est venue me présenter ses excuses. Elle avait acheté de nouvelles glaces et a reconnu qu’elle avait eu tort. Ses excuses étaient sincères, et je les ai acceptées. Nous avons pu discuter calmement de l’importance de respecter les habitudes et les limites des autres, même lorsqu’on est invité.

Une semaine plus tard, leurs travaux étaient terminés, et Nathalie et Laila sont rentrées chez elles. Je me suis retrouvée à nouveau seule dans ma maison, remplie de cette quiétude familière.
Après leur départ, j’ai beaucoup réfléchi à ce qui s’était passé. Cet épisode m’a rappelé combien il est important, dans chaque famille — qu’elle soit de sang ou d’adoption — de respecter les besoins et les petits plaisirs des autres. Même si cela semble anodin pour certains.
J’ai aussi compris à quel point il est précieux d’être vu. Laila m’a vue — pas seulement comme l’adulte qui travaille, nettoie, cuisine, mais comme une personne qui a aussi besoin de calme et de joie. Et pour cela, je lui en suis reconnaissante.
Depuis, je chéris encore plus mes moments du soir avec ma glace. Mais surtout, j’ai compris qu’il ne suffit pas de défendre son espace, il faut aussi respecter les habitudes des autres. C’est ce qui fait de notre maison un lieu où chacun se sent accueilli et aimé.
Et quand Laila m’envoie parfois des messages vocaux pour me parler de l’école ou de ses nouveaux jouets, je souris. Parce que je sais que quelque part, il y a une petite personne qui m’a rappelé combien il est important de se voir les uns les autres.







